Entre 2000 et 2015, alors que la pêche sur l’ensemble de la Tunisie a enregistré une hausse de l’ordre de 29 %, celle à Gabès a connu une baisse de 44 %.
Dans son dernier rapport sur «L’économie bleue en Tunisie, opportunité pour un développement intégré et durable de la mer et des zones côtières : éléments de cadrage stratégique», la Banque mondiale a rappelé l’importance et la nécessité de développer un secteur de la pêche et de l’aquaculture résilient au climat et durable.
En effet, en Tunisie, la pêche est le premier secteur économique du pays et la performance observée au niveau de la filière trouve son explication dans l’évolution de cette activité qui est en relation directe avec l’implantation de nouveaux projets d’élevage de «loup et daurade» dans des cages offshores.
50 % seulement du potentiel de production
L’analyse de l’évolution de la production de la filière sur les 10 dernières années justifie bien le positionnement de la pisciculture marine (taux de croissance annuel de 31 %). En ce qui concerne les perspectives de cette activité, il y a lieu de noter que la production de la pisciculture marine ne représente actuellement que 50 % du potentiel de production des fermes productives et elle est de l’ordre de 29 % de la capacité d’accueil du volume d’eau des cages et des bassins exploités.
Mais avec une meilleure exploitation du potentiel installé et l’entrée en production des 8 fermes qui ont obtenu l’accord de principe et/ou en cours d’installation, la production sera beaucoup plus renforcée, surtout dans les gouvernorats de Sousse, Mahdia et Nabeul.
Le rapport ajoute dans ce même cadre qu’avec une production actuelle de l’ordre de 17.000 tonnes des produits aquacoles, les fermes aquacoles tunisiennes, qui disposent aujourd’hui d’une capacité théorique de 30.000 tonnes, doivent se fixer comme objectifs principaux le maintien de la rentabilité à un niveau acceptable pour assurer la pérennité de l’ensemble des entreprises actives, à travers la mise en place d’un dispositif formel de commercialisation, et s’orienter vers les marchés étrangers pour alléger la pression de l’offre sur le marché national et assurer une stabilité au niveau de la rentabilité. Dans ce cadre, il est à souligner que l’organisation des campagnes de pêche obéit à une concertation tripartite impliquant l’administration, la recherche et la profession.
Des difficultés énormes
En termes de durabilité, le développement de la pêche a eu un impact négatif, particulièrement sur la pêche côtière artisanale, représentant 93 % de la flottille nationale, 66 % des emplois directs dans le secteur, 27 % de la production nationale et 50 % de la valeur des exportations.
Les principaux modes de ce type de pêche sont : la pêche à pied, la pêche à la palourde, la pêche lagunaire, la pêche fixe et la pêche continentale (barrages).
Par rapport à l’intégration des activités, à la conservation des ressources et à la richesse de la biodiversité, la situation est caractérisée par des difficultés énormes qui concernent surtout les conflits fréquents entre les activités de l’aquaculture et les activités de pêche, les conflits entre la pêche traditionnelle et côtière, d’une part, et la pêche moderne, d’autre part, l’utilisation des outils de production et des techniques et méthodes nuisibles à la conservation des ressources et à la diversité biologique, la surexploitation des ressources et les infractions au repos biologique et aux normes de pêche durable…
D’un autre côté, la durabilité de l’activité de pêche est à son tour menacée par la pollution, notamment d’origine tellurique. Le cas du golfe de Gabès illustre particulièrement ce type de pression anthropique, dans ce cas celle du déversement de phosphogypse en mer. Environ 5 millions de tonnes sont rejetées annuellement au large de Gabès depuis le milieu des années 1970 par les usines du Groupe chimique tunisien.
En effet, une étude scientifique effectuée par l’Institut national des sciences et technologies de la mer (Instm) a comparé l’existence de vie benthique, en termes de nombre d’espèces de faune et de flore, au large de Gabès avec celle de Sfax. Le résultat de cette comparaison montre un écart considérable atteignant près de 52 % pour la flore et de 56 % pour la faune, de vie benthique en moins à Gabès. L’étude note particulièrement « l’existence d’une zone morte à Gabès sur un rayon de 2,5 Km au sud du port de Ghannouch ».
Sur un autre plan, l’analyse de l’évolution de la production de pêche à Gabès, entre 1991 et 2019, montre une tendance baissière très prononcée : la production a été divisée par deux. Sur la même période, la production nationale a été multipliée par 1,5. La part de Gabès dans la production nationale est passée de 16 % en 1991 à 7 % en 2015.
Et entre 2000 et 2015, alors que la pêche totale sur l’ensemble de la Tunisie a enregistré une hausse de l’ordre de 29 %, celle de la pêche à Gabès a connu une baisse de 44 %. Même si le rendement de la pêche à Gabès reste supérieur à la moyenne nationale, l’écart entre les deux s’est érodé sensiblement. Cet écart passe de 15,5 t/bateau en 2000 à seulement 2,8 t/bateau en 2015. Soit une chute de l’ordre de 82 %. De manière générale et au fil du temps, Gabès est en train de perdre sa première place de meilleur rendement de pêche en Tunisie.
Des actions prioritaires
À l’issue du diagnostic du secteur de la pêche et de l’aquaculture, la Banque mondiale a cité trois enjeux majeurs, à savoir la réduction du déficit alimentaire, la création d’emplois et de valeur ajoutée locale à l’export et la préservation du capital halieutique pour les générations futures et pour la durabilité du secteur de la pêche. Face à cette situation, il est indispensable de développer un secteur de la pêche et de l’aquaculture résilient au climat et durable.
Mais pour atteindre cet objectif, l’institution monétaire recommande le développement des connaissances et des techniques d’analyse et de suivi du niveau d’exploitation des ressources halieutiques. Elle insiste aussi sur l’importance de réaliser une carte dynamique des stocks et des captures par région, dans le but de réduire les captures dans des limites durables, entre autres par le recours au suivi satellitaire.
Parmi les autres priorités, le renforcement du contrôle des pratiques de pêche, notamment illicites, et l’accompagnement du contrôle par des actions de formation et de sensibilisation destinées aux pêcheurs. Il est aussi recommandé de mettre en place un guide pratique de la gestion écosystémique et durable de la pêche et de l’aquaculture, à l’attention de l’ensemble des professionnels du secteur. A cet effet, un partenariat avec l’Utap, la FAO et WWF est recommandé. Parmi les autres actions prioritaires, on cite notamment : la mise en place des mesures incitatives (financières, fiscales, système de prix équitable, couverture sociale…) aux pratiques de la pêche traditionnelle et à moindre impact sur les écosystèmes, l’amélioration des normes environnementales de rejet d’effluents liquides en mer et le contrôle des installations et de l’exploitation aquacoles, basés sur des standards reconnus en matière d’aquaculture responsable, pour une meilleure protection des écosystèmes, la prise des mesures spécifiques pour la diversification de la production de l’aquaculture vers des produits à plus forte valeur ajoutée (pharmaceutiques…) et des niches de marché alternatif (algues marines, pescatourisme…) et le développement de la coopération régionale ainsi que l’échange de savoir-faire (avec les pays voisins et ceux de la rive nord de la Méditerranée), pour capitaliser les compétences existantes et les bonnes pratiques dans le domaine.